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Responsabilité des dirigeants en période de Covid 19

Lecture en 7mn     Franck Poindessault    
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Dernière mise à jour le 25 janvier 2022

Dans l’exercice de leurs fonctions, les dirigeants d’entreprises sont exposés à de nombreux risques. Les engagements envers la société, l’obligation de sécurité envers le personnel, l’action de tiers en cas de fautes détachables, les risques pénaux, les risques fiscaux, les risques de liquidation judiciaire…. tout est matière à responsabilité. Un bref panorama de ces responsabilités les plus caractéristiques permettra de situer où la Covid-19 risque d’affecter le plus les dirigeants.

Responsabilité des dirigeants en période de Covid 19

La responsabilité du dirigeant envers la société et les actionnaires / associés

Les dirigeants engagent leur responsabilité dans le cadre d’une action « sociale » lorsqu’ils manquent à leurs engagements de dirigeants envers la société, c’est-à-dire quand ils enfreignent les lois et règlements sur les sociétés, violent les statuts, et/ou commettent des fautes de gestion (Cf Articles 1850 du code civil et L.225-251 du code de commerce).

Lorsque la faute du dirigeant cause un préjudice personnel aux associés/actionnaires, qui est distinct de celui subi par la société, ceux-ci peuvent exercer une action individuelle distincte reposant sur le droit commun de la responsabilité (Cf article1240 du Code civil).

La crise sanitaire rend plus difficile la gestion des entreprises dans beaucoup de secteurs ; les dirigeants doivent donc veiller à ne pas commettre de faute dans leur gestion de la crise du Covid-19.

La faute de gestion du dirigeant est une action délibérée, une imprudence ou une omission contraire aux intérêts de la société (Cass. com. 28 mai 2002, n°00-13.127 ; Cass. com. 14 juin 2017, n°16-11.513). Depuis la Loi Sapin II, une simple négligence n’est pas constitutive de faute de gestion.

Les dirigeants de fait encourent les mêmes responsabilités que les dirigeants de droit.

La responsabilité du dirigeant envers ses employés

Les dirigeants peuvent engager leur responsabilité envers les membres du personnel de l’entreprise, tout particulièrement lorsqu’ils manquent, en leur qualité d’employeur, à leurs obligations en matière de santé et de sécurité (Cf article L.4121-1 du code du travail).

En période de pandémie et de confinements, vouloir protéger à distance la santé physique et mentale de ses salariés peut constituer une gageure.

Si le recours forcé au télétravail -lorsqu’il est possible- est une solution de protection contre la Covid-19, elle ne dispense pas les employeurs de leurs obligations en matière de santé et de sécurité – alors que pour certains salariés ce mode de travail est source de détérioration de la santé psychologique.

Et, il appartient à l’employeur de justifier avoir mis en œuvre toutes les mesures qu’il avait à disposition pour échapper à la réalisation du risque (Cass. soc., 25 nov. 2015, n°14-24.444, Bull. civ. V, n°234 ; Cass. ass. plén., 5 avr. 2019, n°18-17.442).

Afin d’éviter toute dérive, l’employeur devra mettre en place un cadre juridique au télétravail, c’est-à-dire un accord collectif ou une charte à l’initiative de l’employeur après avis, le cas échéant, du comité social et économique, s’il existe. Lorsque le télétravail n’est pas possible, l’employeur doit évaluer des risques professionnels inhérents à l’épidémie et mettre en œuvre toutes les mesures découlant de son obligation de santé et de sécurité, tout en y associant le cas échéant les institutions représentatives du personnel, comme le comité social et économique.

A défaut, la négligence de l’employeur est constitutive d’un trouble manifestement illicite, justifiant la restriction de l’activité de l’entreprise par l’autorité judiciaire (Tribunal judiciaire de Nanterre, 14 avril 2020, n° 20/00503 ; Cour d’appel de Versailles, 14e chambre, 24 avril 2020, n° 20/01993).

Lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience des dangers auxquels était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver, l’employeur commet une faute « inexcusable » au sens du droit de la sécurité sociale, ce qui a un coût financier significatif pour l’entreprise (Articles L. 452-2 et s. du Code de la sécurité sociale).

La responsabilité du dirigeant envers les tiers

Lorsqu’un dirigeant commet dans l’exercice de ses fonctions une faute causant un préjudice à un tiers, c’est la société qui répond de la faute, car le dirigeant engage par principe la responsabilité de la société pour laquelle il agit.

Par exception, le dirigeant demeure personnellement responsable à l’égard des tiers pour les fautes qui sont « détachables » des fonctions de direction. Il s’agit des actes intentionnels (ce qui exclut les conséquences de négligence/imprudence) et d’une gravité telle qu’ils sont incompatibles avec l’exercice normal des fonctions (Cass. Com. 20 mai 2003, n°99-17092, arrêt « Sati »).

Par ailleurs, le dirigeant peut voir sa responsabilité engagée lorsque l’un de ses préposés, c’est à dire toute personne à l’égard de laquelle existe un lien de subordination (Cass. Crim. 7 nov. 1968 : Bull. crim. n°291 ; Cass. Crim., 14 juin 1990, n°88-87.396), cause un dommage dans l’accomplissement des missions pour lesquelles il est employé (Cass., ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat, n°97-17.378).

Cette responsabilité n’est toutefois pas encourue lorsque le préposé a lui-même commis un abus de fonction, c’est-à-dire qu’il a commis une infraction pénale ou agi hors des fonctions auxquelles il est employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions (Cass., ass. plén., 19 mai 1988, n° 87-82.654).

La responsabilité pénale du dirigeant

Tout d’abord, l’exercice de fonctions de direction expose le dirigeant à des sanctions spécifiques liées à la gestion des sociétés, dont le régime varie selon les types de sociétés. A titre d’illustration, il en est ainsi des délits suivants qui sont punis (sous réserve de règles spécifiques) d’une peine de cinq ans de prison et 375.000 € d’amende :

  • l’abus de biens sociaux (Cf Articles L. 241-3, 4° et L. 242-6, 3° du code de commerce) -qui consiste pour le dirigeant à faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans lequel il a un intérêt direct ou indirect ;
  • la distribution de dividendes fictifs (Cf Article 241-3, 3° du Code de commerce) ;
  • la présentation de comptes annuels non fidèles (Cf Articles L. 241-3, 3°, L. 242-6, 2°, L. 242-30, 1er alinéa et article L. 231-11, 2ème alinéa du Code de commerce) ;
  • l’abus de pouvoir ou de voix (Cf articles L. 241-3, 5° et L 242-6, 4° du Code de commerce) ;

De même, certaines sanctions spécifiques peuvent s’appliquer aux dirigeants lorsque leur entreprise est en difficulté. Ils s’exposent ainsi, par exemple, aux sanctions de la « banqueroute » (cinq ans de prison et 75.000 € d’amende) s’ils retardent ou évitent l’ouverture de la procédure collective, détournent ou dissimulent tout ou partie de l’actif du débiteur, augmentent frauduleusement le passif de la société, tiennent une comptabilité fictive ou font disparaître des documents comptables ou s’abstiennent de tenir toute comptabilité (Cf Article L.654-2 du Code de commerce ; Cass.Crim., 25 novembre 2020, n° 19-85.205).

De même, les dirigeants sont exposés à des risques de sanction pénale en raison de fautes ou mauvaises pratiques managériales qui sont susceptibles de constituer des délits tels que le harcèlement (moral ou sexuel), la discrimination (notamment à l’embauche), la corruption et autres atteintes à la probité, le travail dissimulé…

S’il n’entre pas dans le cadre limité de la présente note de présenter l’ensemble des risques pénaux auxquels les dirigeants sont exposés, il peut être insisté en cette période d’épidémie sur certaines infractions.

Lorsqu’un préposé a trouvé la mort ou a subi des blessures à l’occasion d’un accident ou du fait de la Covid-19, sur son lieu de travail, le dirigeant peut être poursuivi aux côtés de la personne morale à titre personnel pour des faits d’homicide involontaire sanctionnés par une peine de cinq ans de prison et 75.000 €  (Cf Article 221-6 du Code pénal) ou de blessures involontaires susceptibles d’être sanctionnés (selon la gravité des blessures et l’intensité de la faute de l’employeur) par une peine de trois ans de prison et 45.000 € d’amende (Cf Articles 221-19 et suivants du Code pénal).

Toutefois, la caractérisation de ces infractions nécessite l’établissement d’un lien de causalité certain entre la faute de l’employeur et le décès ou l’atteinte à l’intégrité physique, ce qui, concernant la Covid-19 peut présenter des difficultés du fait de l’indétermination du lieu précis de contamination. La faute d’imprudence du dirigeant sera vraisemblablement appréciée à l’aune du « protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprises face à l’épidémie de Covid-19 », mis à jour le 29 janvier 2021.

Quoiqu’il en soit, et même en l’absence de dommage, le seul fait pour un dirigeant d’avoir manqué volontairement à une obligation particulière de sécurité en matière de santé (telle que le respect des gestes barrières et la distanciation sociale) l’expose aux sanctions du délit de « mise en danger d’autrui » – c’est-à-dire une peine d’un an de prison et 15.000 euros d’amende (Cf. Article 223-1 du Code pénal).

De même, l’employeur doit veiller à établir le document d’évaluation des risques qui doit prendre en considération les risques liés à la pandémie. A défaut, il risque une peine d’amende de 1.500 € (Cf. Art. R 4741-1 Code du travail).

La responsabilité fiscale du dirigeant

La matière fiscale est également une source de responsabilité autonome pour les dirigeants de société.

En effet, outre les sanctions prévues par l’article 1741 du Code général des impôts applicables aux auteurs de fraude fiscale (notamment 5 ans de prison et 500.000 euros d’amende), les dirigeants peuvent être tenus solidairement responsable des dettes fiscales de la société qu’ils dirigent.

L’article L. 267 du Livre des procédures fiscales prévoit ainsi la possibilité pour l’administration fiscale de saisir le tribunal judiciaire du lieu du siège social afin de voir le dirigeant solidairement condamné au paiement des dettes sociales lorsque la société débitrice de l’impôt est insolvable et lorsque le dirigeant est responsable de manœuvres frauduleuses tendant à soustraire la société à l’imposition ou que ce dernier a ignoré de façon grave et répétée ses obligations fiscales.

La responsabilité du dirigeant pour insuffisance d’actif

Lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une liquidation judiciaire, les créanciers de l’entreprise peuvent chercher à faire supporter par des dirigeants tout ou partie du passif social (Cf article L. 651-2 du code de commerce).

L’engagement d’une responsabilité des dirigeants pour insuffisance d’actif suppose la réunion de trois conditions :

  • Une insuffisance d’actif ;
  • Une faute de gestion – qui ne peut être qu’une simple négligence (Cf Article L. 651-3 du Code de commerce) ;
  • Un lien de causalité entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif (sans qu’il soit exigé que la faute en soit la cause exclusive).

A titre d’illustration, parmi les fautes de gestion couramment reprochées aux dirigeants figurent :

  • la déclaration tardive de l’état de cessation des paiements ( Com. 17 juin 2020, n°18-11.737) – étant observé que dans le cadre du premier confinement de 2020, le gouvernement avait gelé (pendant quelques mois) le délai de déclaration (Cf l’ordonnance 2020-341 du 27 mars 2020) et il conviendra de vérifier si de pareilles mesures sont prises en 2021 par faveur aux dirigeants d’entreprises en difficulté ;
  • le fait, pour des administrateurs, de ne pas s’être opposés à la continuation de l’exploitation déficitaire d’une entreprise en cessation des paiements ( Com. 31 mai 2011, n°09-67.661);
  • le fait de s’octroyer une rémunération excessive ( Com. 28 juin 2017 n°14-29936).

En l’état d’un tel panorama, il est conseillé aux dirigeants de société d’adopter pour eux-mêmes les bonnes mesures de protection.

Un bon remède pourrait être trouvé dans la pharmacopée des assureurs avec « l’assurance de responsabilité des dirigeants » (assurance dite RCMS ou D&O en Anglais). Outre la protection du patrimoine des dirigeants, ces produits d’assurance comportent fréquemment des aides aux dirigeants pour prévenir la survenance des sinistres et, en cas de sinistre, les assureurs prennent en charge les frais de défense.

Mais comme pour les vaccins, cette assurance a un coût qui est manifestement en hausse. Peut-être est-ce là le prix à payer pour la tranquillité des dirigeants en cette période d’urgence sanitaire.

Auteur

Par Franck Poindessault

Avocat au barreau de Paris

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